Contest - Chroniques du Pipe Masters : Didier Piter, l'état de grâce en 2001

"L'aboutissement de tellement d'années d'amour et de passion avec cette vague."

- @oceansurfreport -

Chaque mercredi avant le début du Billabong Pipe Masters, qui prendra ses quartiers sur le North Shore d'Oahu du 8 au 20 décembre 2019, Surf Report vous propose de remonter le temps afin de revenir sur les instants qui ont forgé l'histoire de la mythique épreuve hawaïenne. Cette semaine : le jour où Didier Piter, seul européen invité sur l'event, a atteint les demi-finales de l'épreuve reine.

"Pipeline est bien plus qu'un spot de surf, c'est un état d'esprit. Si, en plus, on est sincère et que l'on s'y consacre totalement, cela devient un état de grâce." Quand Gerry Lopez prononce ce discours lors de la soirée de cérémonie d'ouverture du Pipeline Masters 2001, il joue profondément sur les cordes émotionnelles et psychologiques d'un homme qui se sent concerné plus que quiconque. Et les mots qu'il emploie, qui transpirent la science et le savoir, ne tombent pas dans l'oreille d'un sourd. "Quand la légende du Pipe te dit ces choses-là, c'est sincère et ça a du sens. Et quand il a fait ce speech, ça a tout de suite résonné dans ma tête", raconte aujourd'hui Didier Piter. En sa qualité de seul Européen invité sur le Pipe Masters, une lourde pression repose sur les épaules du Landais. Car au-delà d'une fierté nationale et continentale, c'est un défi personnel que s'apprête à relever le surfeur de 30 ans, en défiant une vague qui nourrit ses fantasmes depuis des années.

Looking For Dakar

Pour comprendre cette relation unique qui lie la gauche de Pipeline à Didier, il faut remonter à son enfance sénégalaise dans la région de Dakar, au début des années 1970. Plus jeune, le quintuple champion d'Europe regardait déjà des vidéos de la célèbre vague hawaïenne avec l'insouciance d'un gamin qui ne savait pas encore que, plusieurs années plus tard, il se ferait un nom sur le North Shore d'Oahu. Un aboutissement après un long pèlerinage à travers le Seven Mile Miracle, de Sunset à Haleiwa, qui a comporté ses hauts et ses bas.

Payer ses dues

Pipeline, 1994. Didier Piter attend patiemment au pic lorsqu'un set éveille l'ambition des quelques 200 types à l'eau. Au moment où le surfeur français démarre, Shawn Briley, qui revenait tout juste de Backdoor, réalise son take-off plus à l'intérieur. Didier le remarque, mais trop tard. Il braque alors l'un des pires locaux de Pipeline et le condamne à bouffer une série de huit vagues. Un acte qui aurait pu lui coûter sa place au line-up. "Peut-être que je suis arrivé trop affamé, en faisant un peu trop le coq sans m'en rendre compte", avait-il raconté après-coup. Cette histoire fait partie des dues (littéralement : tributs, n.d.l.r) que Didier a dû payer au cours de son apprentissage sur l'archipel hawaïen. Comme la fois où son leash a rompu lorsque Pipeline pétait au second reef, qu'il a explosé des planches ou qu'il a pris des boîtes en mangeant le récif : "Pipe c'est un package, une école d'humilité et de patience... Le far-west !".

L'invitation tant attendue

Après avoir progressivement gravi les échelons vient la consécration. Dans un contexte de post-attentat du 11 septembre, l'organisation du Pipe Masters qui a alors décidé de quitté le circuit WCT, aménage un format de compétition basé sur un système d'invitations - ex-Pipe Masters, spécialistes du Top 44, free surfeurs - . Grâce notamment à ses performances à Teahupo'o, où il s'était fait une place sur le main event en 1999 après sa victoire aux Trials, la candidature de Didier retient l'attention du comité. C'est le 12 octobre qu'il reçoit le fameux sésame - une invitation sur l'épreuve reine de la kermesse hawaïenne - et le Landais s'en souvient comme si c'était hier : "Au moment où j'ai reçu cette lettre, j'étais déjà dans le Pipe. Puis je me suis entraîné à fond, j'ai réfléchi à tous les éléments nécessaires pour être prêt physiquement et techniquement, et arriver à 100% le jour de l'épreuve. J'y pensais tous les soirs avant de m'endormir".

Une histoire de confiance

"La confiance ça va et ça vient. Même chez les locaux et les boss du spots, il y a des jours avec et des jours sans", explique Didier. Lors de la première série, il est opposé à Tamayo Perry et à Michael Ho. Mais ce dernier se démet l'épaule après un haut-bas titanesque dans un Pipe sous stéroïdes où les bombes s'élèvent à hauteur de dix pieds. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, dit-on souvent. Le tour suivant s'apparente à un heat suicide face à Mick Lowe, Tom Carroll et Kalani Robb. Sans fulgurances mais avec sérénité, l'outsider s'en sort et file vers les quarts. Il tombe alors face à Jamie O'Brien et Johnny Boy Gomes (vainqueur du Pipe 97) avec qu'il a des antécédents : "Lors d'un Pipe Pro (QS) deux ans auparavant, on s'est retrouvé dans le même heat. Il m'a eu à l'intimidation en me disant 'ne rame plus jamais sur aucune de mes vagues'. Dans ce quart de finale-là, il me l'a dit à nouveau. Mais je ne voulais pas me faire avoir cette fois-ci, et ça m'a donné de la motivation supplémentaire !", raconte le Landais. Les joies du karma continue et Didier finit second de la série.

L'ancienne école

Le carré final s'ouvre à lui, une nouvelle fois face à JOB ainsi qu'à Pancho Sullivan et à C.J Hobgood. Mais le swell de nord-ouest baisse à mesure que les heures défilent. "Par conséquence, la vague de Pipe ne passait plus et ça s'est fini sur Backdoor, une vague que je n'ai jamais vraiment regardé. C'était une première erreur de ma part." La deuxième : le choix de planche. Guidé par l'ancienne école des Garett McNamara et Derek Ho, Didier opte pour une 6'10 quand ses adversaires directs chevauchent des supports plus courts. "Avec le recul, j'aurais dû réduire la taille de ma planche, pour être dans l'intimité de la vague." La fantastique épopée du Frenchie s'arrête ici, aux portes d'une finale que survolera Bruce Irons.

Une autre victoire

Didier n'a donc pas triomphé sur le North Shore cette saison-là, mais a néanmoins trouvé son bonheur ailleurs. Après avoir brandi des années durant le drapeau tricolore avec l'équipe de France, écumé le circuit européen ASP et remporté cinq titres continentaux, il décide de mettre un terme de sa carrière, au même moment où il attend son premier enfant, Sam. "C'était l'aboutissement de tellement d'années d'amour et de passion avec cette vague." Au fil des hivers, il s'est fait une véritable place au sein d'une hiérarchie traditionnelle, à un endroit où le respect ne s'achète pas mais se gagne. Aujourd'hui, il avoue préférer regarder Pipeline et transmettre son savoir à son fils et aux autres groms qu'il a pris sous son aile, même s'il est encore capable comme en 2017 (voir photo ci-dessous), de chopper des bombes. "Le niveau augmente et les nouvelles générations arrivent. Quand les conditions me laissent une petite fenêtre, j'y vais mais avec un autre état d'esprit". À 49 ans, Didier restera donc à jamais comme le premier surfeur français à briller sur le reef redouté de l'archipel mythique du surf. Et c'est mérité.

Didier Piter, Pipeline, 2017.

>> Photo à la une : Bernard Testemale, Trials du Pipe Masters, 2002.

        
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